La surmortalité, le critère déterminant pour évaluer la mortalité due au coronavirus
Dr MOUSSAYER KHADIJA
La mortalité réelle de la Covid-19 : une donnée essentielle loin d’être facile à estimer
Chaque soir, les autorités sanitaires publient le nombre de décès du coronavirus. Ces chiffres ne tiennent pas toujours compte des décès de malades de cette infection qui seraient restés chez eux, ni d’une éventuelle surmortalité liée à un accès plus difficile aux soins dans les hôpitaux ou plus généralement au renoncement aux soins, un phénomène confirmée récemment par le Haut Commissariat au Plan (HCP). D’où l’utilité de connaître la mortalité complète pendant la pandémie pour appréhender une éventuelle surmortalité due au covid-19.
La limitation de l’accès au soin pendant le confinement
Selon une note fin juillet du HCP, la crainte de contamination et le manque de disponibilité des moyens sont les principaux motifs de la restriction des soins. On observe ainsi que parmi les 11,1% de personnes souffrant de maladies chroniques ayant nécessité un examen médical lors du confinement, 45,2% n’ont pas eu accès à ces services et que parmi les 10,1% de personnes souffrant de maladies passagères et ayant nécessité une consultation, 37% n’ont pas pu en bénéficier. Il en a donc découlé un certain nombre de décès qu’on se doit d’appréhender.
La surmortalité élément déterminant de la fiabilité des bilans
La surmortalité (l’excès de décès lors de la crise épidémique par rapport à une situation normale) permet d’avoir une vision statistique complète d’une épidémie. Cela passe par une comparaison des décès totaux dans la période de crise par rapport à un nombre de décès moyen fondé généralement sur la mortalité des cinq années précédentes. L’écart constatée par rapport à cette moyenne, la surmortalité, assure d’englober tout à la fois les décès comptabilisés officiellement comme relevant du Covid19, la mortalité indirecte due aux conséquences de l’épidémie (la restriction de l’accès au soin), et une mortalité directe de personnes mortes du virus sans qu’on l’ait clairement identifiée. La réunion de ces 3 composantes donne le bilan final de l’épidémie. Il ne correspond pas uniquement à des hausses de décès d’ailleurs, car la période en cause se traduit aussi par une baisse de la mortalité en raison de la réduction des déplacements et des activités (accidents de la route, accidents professionnels…).
Un outil difficile à mettre en œuvre au Maroc
Le premier écueil est celui de l’attribution d’une cause déterminée à un décès d’une personne âgée, surtout passée 80 ans et quand elle souffre de polypathologies. Ce problème fait parfois encore débat, même en Europe. Dans l’incertitude d’une situation, le décès pourtant est normalement affecté au décompte des victimes de l’épidémie
La précision sur les causes de la mort et la relative rapidité à l’effectuer ce chiffrage constituent la seconde difficulté.
De nombreux pays comme le Maroc n’ont malheureusement pas les données nécessaires pour mesurer rapidement la surmortalité. Et de nombreux pays à faible revenu (comme en Afrique) ne tiennent pas de registre de décès, ou en tiennent un mais sans en préciser les causes. C’est un processus difficile car les causes de mortalité doivent être codées, à partir des certificats de décès remplis manuellement par le médecin, selon la classification internationale des maladies de l’OMS.
Une exception notable en Afrique, tout de même, l’Afrique du Sud où des chercheurs du Conseil sud-africain de la recherche médicale (SAMRC), un organisme indépendant, estiment déjà qu’environ 17 000 décès supplémentaires causés par le coronavirus n’ont pas été enregistrés, entre mai et fin juillet, dans les statistiques officielles qui s’établissaient à seulement 8 800 morts !
Une meilleure connaissance de la surmortalité au Maroc serait pourtant fort utile pour le suivi de l’épidémie, pour le respect des standards internationaux recommandés par l’OMS et, ne serait ce qu’en mémoire de toutes les victimes ! Et afin d’établir un bilan épidémiologique à la fin (espérée) de l’épidémie définitif. L’écart entre surmortalité et bilan surtout hospitalier sera certainement beaucoup plus réduit qu’en Europe (une hausse de la surmortalité constatée de 50% entre fin mars et début avril), du fait d’une proportion de personnes âgées (les victimes principales) beaucoup moins élevée dans nos pays encore jeunes. En tout état de cause, les évaluations actuelles entre les différents pays doivent être interprétées avec beaucoup de prudence du fait de l’hétérogénéité des bases des calculs et des structures de la population : est-il raisonnable et vraiment scientifique en effet de comparer, par exemple, certains pays d’Afrique Noire à la jeunesse débordante avec une Italie vieillissante ?
Casablanca, le 12/08/2020
Dr MOUSSAYER KHADIJA الدكتورة خديجة موسيار
اختصاصية في الطب الباطني و أمراض الشيخوخة Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie en libéral
Présidente de l’Alliance des Maladies Rares au Maroc رئيسة ائتلاف الأمراض النادرة المغرب, Présidente de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS) رئيسة الجمعية المغربية لأمراض المناعة الذاتية و والجهازية , Ancienne chef de service à l’Hôpital de Kenitra, Ancienne interne aux Hôpitaux de Paris – Pitié Salpêtrière – Hôpital Charles Foix, Conseillère à la rédaction et membre du comité scientifique du Journal de Biologie Médicale (JBM), Membre du comité scientifique de la Revue de Médecine Générale et de Famille (RMGF)
POUR EN SAVOIR PLUS : Vous trouverez des informations complémentaires ci-dessous sur la restiction de l’accès au soin pendant le confinement, la surmortalité en Europe due au covid-19, la mobilisation des associations AMMAIS et AMRM pendant l’épidémie et la bibliographie utile
1/ La restriction de l’accès aux soins lors du confinement
La crainte de contamination à la pandémie du nouveau coronavirus (covid-19) et le manque de moyens ont limité l’accès aux services de santé en période de confinement, selon le Haut-commissariat au Plan (HCP) dans une de ses notes sur les rapports sociaux pendant l’épidémie parues fin juillet.
On peut ainsi retenir que le non accès aux services de santé est dû au manque de moyens disponibles, pour 34,2% dans le cas des maladies chroniques, 35,6% pour des maladies passagères et 26,2% pour des services de santé maternelle. La crainte d’une éventuelle contamination est à l’origine du renoncement à la vaccination des enfants de moins de 5 ans pour 50,1% des cas.
Ces données ont été faites à partir de sondages réalisés du 15 au 24 juin 2020 sur un échantillon représentatif de 2.169 ménages. Il faut saluer à ce propos l’excellent travail statistique accompli par le HCP sur les données sociales et économiques du Maroc
2/ La surmortalite en Europe
Selon des données publiées fin juillet par l’Institut français de la statistique (Insee), les écarts entre les bilans officiels au jour le jour et la surmortalité constatée à partir des registres de décès peuvent malheureusement être significatifs. On sait en effet maintenant que la surmortalité en Europe a enregistré une hausse de 50% entre fin mars et début avril, en raison de la pandémie et plus précisément respectivement de 71 % en Espagne, 49 % en Italie, 44 % en Belgique et de 28 % en France sur l’ensemble des 8 semaines comprises entre début mars et fin avril.
3/ La mobilisation de l’Association Marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS) et de l’Alliance des Maladies Rares au Maroc (AMRM) face à la Covid-19.
Rappelons que les objectifs d’AMMAIS, créée en 2010, sont d’informer et de sensibiliser le grand public et les médias marocains sur les maladies auto-immunes et systémiques, d’aider à leurs meilleures prises en charge et de promouvoir la recherche et les études sur elles. Ammais est par ailleurs à l’origine de la création en 2017 de l’Alliance des Maladies Rares au Maroc (AMRM)
Les deux associations, sans beaucoup de moyens financiers mais avec beaucoup de bonne volonté, se sont mobilisées depuis le début de l’épidémie au Maroc en Mars pour :
– informer et sensibiliser la population aux risques que fait courir la Covid-19 et aux enjeux de cette crise inédite et violente, notamment quant au port du masque, la préservation du capital santé des personnes âgées pendant l’épidémie, la fiabilité des tests de dépistage …
– apporter leurs soutiens et leurs aides à d’autres associations de malades.
Elles ont à cet effet intensifié leurs collaborations avec d’autres associations, et en particulier avec les associations marocaines des malades souffrant d’angioedèmes (AMMAO) présidée par Imad El Aouni, de mucoviscidose (AMM) présidée par Fenna Builler, du syndrome de Rett (AMSR) présidée par Mustapha El Mokhtar, pour, de solidarité avec les enfants de la lune (ASELM) présidée par Habib Ghazaoui, , des Intolérants et Allergiques au Gluten (AMIAG) présidée par Mme Jamila Cherif Idrissi, des Maladies Auto-immunes et Systémiques (AMMAIS), de Biologie Médicale (AMBM) présidée par Abdellatif Loudghiri.
Il faut signaler que, dans ces actions d’information, l’auteur de ces lignes, présidente des 2 associations, a alerté sur le risque de rebond de l’épidémie au Maroc dans une tribune publiée le 7 juillet sur le site Oujdacity et intitulée « PAS D’ARMISTICE À ATTENDRE AVEC LE COVID-19 ! ».
En prévenant que « Nous avons gagnés la première bataille mais pas encore la guerre » et en précisant :
« On aura de toute façon à faire face à des risques de retour de la pandémie ; le tout est de savoir si cette dernière se réduira à des « vaguelettes » ou malheureusement à une forte vague, si on continue à perdre le sens des réalités ».
L’auteur de ses lignes avait ensuite réitérés ses mises en garde sur la continuation de l’épidémie et la venue rapide d’une nouvelle « vague » dans plusieurs articles, et notamment, le 9 juillet sur le forum médical SBA-Médecine.com
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