Les malades du cycle de l’urée en situation difficile au Maroc
Les maladies du cycle de l’urée sont des maladies rares d’origine génétique caractérisées par l’accumulation anormale dans l’organisme de composés toxiques issus de la digestion des protéines par l’organisme. Elles peuvent se révéler à tout âge, principalement par des troubles neurologiques et des troubles digestifs. Les signes et les symptômes de la maladie apparaissent soit de façon brutale soit de façon insidieuse Leur traitement repose sur un régime alimentaire extrêmement strict, qui doit être débuté le plus précocement possible et poursuivi à vie. Au Maroc, ces maladies posent un réel problème de santé publique du fait de leur méconnaissance, de l’absence de structures spécialisées et de médicaments indispensables, d’où une forte mortalité chez les enfants en bas âge
I/ L’origine de ces pathologies
La dégradation naturelle des protéines issues de l’alimentation dans le foie et les tissus libère de l’azote qui circule dans le sang sous forme d’ammoniaque. Cette dernière substance est transformée majoritairement dans le foie en urée au cours d’une série de réactions biochimiques appelée “cycle de l’urée”. L’urée est ensuite éliminée par l’intermédiaire des reins dans l’urine. En cas d’absence ou de quantité insuffisante des enzymes (qui ont pour mission d’accélérer les réactions chimiques dans les organismes vivants) nécessaires au bon fonctionnement du cycle de l’urée, l’ammoniaque s’accumule dans le sang. Ce niveau élevé d’ammoniaque (l’hyperammoniémie) est très toxiques pour les cellules du cerveau et peut entrainer des lésions avec des troubles de la conscience, un œdème cérébral pouvant aller jusqu’au coma et la mort.
Ces troubles appelées les maladies du cycle de l’urée proviennent plus précisément du dysfonctionnement de six enzymes qui interviennent dans ce cycle. L’ornithine carbamyl-transférase (OTC) est l’une des enzymes dont le déficit est le plus fréquent. Il existe 2 formes d’apparition de ces atteintes : les formes néonatales (dans les 28 premiers jours de vie) et les formes à révélations tardives (pendant l’enfance/l’adolescence/ l’âge adulte).
« Maladies rares », leurs fréquences sont estimées entre 1/15 000 et 1/45 000 naissances, selon les régions du monde. Elles pourraient concerner un millier de personnes au Maroc.
II/ Les signes et symptômes
La présentation clinique est très variable selon la nature et la sévérité des déficits en enzymes.
Les formes les plus sévères se déclarent quelques heures ou jours de la naissance, par une détérioration neurologique aiguë inaugurée par des troubles de conscience pouvant aller jusqu’au coma. Dans les formes moins sévères, s’installent progressivement des vomissements et perte d’appétit responsables d’un retard de croissance, des troubles neurologiques divers tels des convulsions, un retard psychomoteur, une dyslexie, une irritabilité, une agitation .Il s’en suit un retard mental ainsi qu’un retard de croissance et du développement.
La maladie peut aussi se manifester tardivement à l’âge adulte, par des nausées, vomissements, une épilepsie, des troubles cognitifs, ou des symptômes psychiatriques tels une dépression, de troubles de l’humeur ou du comportement, évoluant souvent par accès. Entre les accès, certains jeunes n’ont aucun signe, alors que d’autres présentent un retard mental ou une maladie psychiatrique. Les personnes ayant un trouble du cycle de l’urée relatent parfois une intolérance ou un dégoût pour les aliments riches en protéines, qui les amène à adopter une alimentation de type végétarien.
III/ Le diagnostic et le traitement
Sachant que les formes néonatales évoluent spontanément vers le coma, puis la mort, et que les formes plus tardives, conduisent à un retard mental, un retard de croissance et du développement, des troubles neurologiques et psychiatriques… poser rapidement un diagnostic est vital, s’appuyant sur des analyses biologiques (taux d’ammoniac dans le sang, profil des acides aminés…), ce qui est loin d’être encore le cas au Maroc.
La prise en charge vise à rééquilibrer la concentration en ammoniaque dans le sang et à prévenir les décompensations, mais aussi à assurer à l’enfant une croissance et un développement psychomoteur normaux et à l’adulte, un état nutritionnel satisfaisant.
Le traitement repose sur
– une restriction des apports alimentaires en protéines
– une supplémentation, selon les cas, en arginine ou en citrulline
– des thérapeutiques à base de phénylbutyrate de sodium
Il faut d’abord opérer une restriction des apports alimentaires en protéines tout en permettant cependant d’apporter les acides aminés nécessaires à la vie et à un développement normal (d’où l’incorporation d’arginine et de citrulline) : un régime hypoprotidique est nécessaire, en assurant les besoins en vitamines, minéraux, oligoéléments et des apports caloriques suffisants. Certains aliments sont interdits (viande, poissons, œufs, pain…) ; d’autres sont autorisés en petites quantités (légumes verts, produits laitiers, féculents).
Le traitement complémentaire comprend le benzoate de Na, le phénylbutyrate ou le phénylacétate qui sont des “évacuateurs d’azote”.
A l’occasion de la décompensation de la maladie, en particulier chez les nourrissons, l’hospitalisation de quelques jours est souvent impérative et doit comporter parfois des mesures particulières : alimentation à l’aide d’une sonde posée directement dans l’estomac pour les bébés; recours à la dialyse pour épurer l’organisme.
Malgré des progrès thérapeutiques et que beaucoup d’adultes peuvent avoir une vie presque « normale », beaucoup d’autres maladies du cycle de l’urée restent difficiles à traiter et la transplantation hépatique est (ou serait pour le Maroc) la seule solution efficace pour de nombreux patients(les nourrissons).
Tous ces troubles feront l’objet d’un examen attentif lors de la seconde journée des maladies rares le 23 février (cf. en annexes des développements sur cette journée, l’Alliance des Maladies Rares au Maroc et les priorités à mettre en œuvre dans notre pays concernant les maladies rares).
On rappellera enfin que la Journée Internationale des Maladies Rares sera célébrée dans le monde entier le 28 février.
A Casablanca, le 17 février 2019
Dr MOUSSAYER KHADIJA الدكتورة خديجة موسيار
اختصاصية في الطب الباطني و أمراض الشيخوخة Spécialiste en médecine interne et en Gériatrie
Présidente de l’Alliance des Maladies Rares au Maroc رئيسة ائتلاف الأمراض النادرة المغرب
Présidente de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS) رئيسة الجمعية المغربية لأمراض المناعة الذاتية و والجهازية
Vice-président du Groupe de l’Auto-Immunité Marocain (GEAIM)
Références
– L. M. Sanders, Troubles du cycle de l’urée Le Manuel Msd Janvier 2016
https://www.msdmanuals.com/fr/professional/p%C3%A9diatrie/maladies-h%C3%A9r%C3%A9ditaires-du-m%C3%A9tabolisme/troubles-du-cycle-de-l-ur%C3%A9e
– Anomalie du cycle de l’urée / déficit en OTC
http://www.tousalecole.fr/content/anomalie-du-cycle-de-lur%C3%A9e-d%C3%A9ficit-en-otc
– E. Noel (CHRU Strasbourg) Hyperammonièmie
https://slideplayer.fr/slide/14325347/
– Christel Tran and al, Erreurs innées du métabolisme : transition enfant-adulte
Rev Med Suisse 2015; volume 11. 445-449
https://www.revmed.ch/RMS/2015/RMS-N-462/Erreurs-innees-du-metabolisme-transition-enfant-adulte
ANNEXES
1/ La seconde journée nationale des maladies rares au Maroc le 23 février
L’alliance des maladies rares au Maroc (AMRM) organise, sous le patronage du Ministère de la Santé, sa deuxième journée nationale des maladies rares le Samedi 23 février 2019 à l’université Mohamed 6 des sciences de la santé de Casablanca, et en partenariat avec cette dernière, sur le thème « les maladies rares à décompensation aigue ». Cette manifestation s’inscrit dans le cadre de la Journée Internationale des Maladies Rares célébrée dans le monde entier le 28 février.
Cette journée d’information est mise à profit pour
– faire le point, à propos des maladies rares, sur la situation actuelle, les difficultés et les avancées récentes (et cela au travers de deux grands débats);
– faire un éclairage sur les crises aigues et brutales que provoquent certaines de ces pathologies et entraînant bien trop souvent handicaps et décès, à cause d’une indisponibilité de médicaments, de moyens adéquats, de diagnostic … et cela au travers notamment de 4 exemples de groupes de maladies :
– les maladies du cycle de l’urée, des pathologies où il y a un défaut de transformation de l’ammoniaque, molécule toxique pour le cerveau et le foie, en urée molécule éliminée par les reins ;
– les porphyries, secondaires à un déficit d’une des enzymes nécessaires à la synthèse de molécules nécessaires à la fabrication des globules rouges ;
– l’hyperplasie congénitale des surrénales (une anomalie de glandes située au dessus des reins) et la maladie de Pompe, une maladie musculaire enzymatique qui a bénéficié récemment d’un nouveau traitement innovant.
– les perspectives prometteuses des thérapies géniques pour la résolution de ces atteintes.
2/ Qu’est ce que l’Alliance des Maladies rares au Maroc ?
A l‘initiative de l’association marocaine des maladies auto-immunes et systémiques (AMMAIS), plusieurs associations de patients atteints de maladies rares ont décidé en 2016 de se regrouper pour mieux travailler ensemble, en appelant notamment à une Alliance Maladies Rares Maroc ayant vocation à rassembler toutes les associations œuvrant dans ce domaine. Cette union, d’abord informelle a ensuite débouché sur la création officielle de cette Alliance.
L’association « Alliances des Maladies Rares au Maroc » a en effet formé son bureau et son conseil scientifique, le 18 février 2017, lors d’une assemblée générale réunissant des malades isolés et des associations.
A l’exemple de ce qui s’est fait déjà en Europe, il s’agit pour tous ces membres et ceux qui voudraient les rejoindre de s’organiser en un mouvement collectif en réseau, respectueux de l’autonomie de chacun de ses membres dans leurs propres actions. L’Alliance aura pour mission de faire connaître les maladies rares auprès du grand public, des pouvoirs publics et des professionnels de santé, d’améliorer la qualité et l’espérance de vie des personnes atteintes de maladies rares, d’aider les associations de malades et de promouvoir la recherche.
3/ Quelles sont les priorités de l’Alliance au Maroc ?
L’Alliance estime nécessaire de promouvoir les maladies rares au rang de priorité de santé publique s’inscrivant dans un plan national pour les maladies rares au Maroc, comme cela s’est déjà fait eu Europe. Celui-ci formulerait les objectifs et les mesures à prendre, notamment dans les domaines de la formation et de l’orientation des patients avec le développement de centres de référence nationaux pour l’expertise et de centres de compétences locaux pour les soins.
Face d’abord au défi principal de l’errance diagnostique des patients au Maroc, l’Alliance estime qu’il faut progressivement :
1- Encourager à la mise place d’un dossier médical unique et inciter les marocains à avoir un médecin référent, le « médecin de famille » qui connaît tout de son patient pour mieux centraliser les informations et coordonner les soins, comme cela existe en Europe.
2- Mieux promouvoir la médecine clinique. Cela passe notamment par un gros effort de formation vers 4 spécialités en pointe dans le combat des maladies rares : la neurologie, la pédiatrie, la dermatologie et la médecine interne.
Une réflexion paraît souhaitable d’ailleurs sur la place de cette dernière spécialité dans notre système de santé. La médecine interne est en effet, par définition la discipline médicale qui s’occupe du diagnostic des maladies complexes (et donc des pathologies peu fréquentes et des maladies rares). Méconnue du grand public marocain, le nombre d’internistes au Maroc est dérisoire, moins de 250, soit moins de 2 % des spécialistes du pays.
3- Encourager les médecins, qu’ils soient du secteur public ou privé, à « adopter » une maladie ou un groupe de maladies pour la mise en place à terme de centres de référence nationaux pour l’expertise et des centres de compétence pour les soins.
4- Organiser le dépistage néonatal systématique de certaines pathologies, cela afin d’éviter les handicaps qu’elles engendrent : il en est ainsi de l’hypothyroïdie congénitale et de la phénylcétonurie qui peuvent être soignés facilement, respectivement par un traitement peu onéreux (la lévothyroxine, une hormone thyroïdienne) et par un régime alimentaire spécifique (un régime pauvre en phénylalanine, un acide aminé).
Par ailleurs il faut en ce qui concerne plus directement les malades et leurs familles :
5- Mener des grandes campagnes de sensibilisation. Cela passe en particulier par un effort important de communication en langue arabe. L’Alliance des maladies rares au Maroc a d’ailleurs déjà réalisée des fiches de vulgarisation sur plus de 80 maladies rares.
6- Encourager la constitution des associations des malades pour que ces dernières puissent soutenir les patients et leurs familles et accomplir, pour chacune des maladies, ce travail de sensibilisation auprès du public
7- améliorer la prise en charge des patients par les assurances maladies, en considérant toutes ces maladies comme « affection de longue durée », ce qui n’est pas le cas pour la plupart actuellement.
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